Rendre justice à ce qui est
Pour une anthropologie politique de la relation interhumaine
Vendredi 18 novembre 14h au A-5020, UQAM
Résumé: Et si, à prétendre, inlassablement, lever le voile de notre ignorance de la vérité du monde social, les lumières des sciences sociales nous plongeaient, paradoxalement, dans l’ombre ? Que nous donne en effet à voir la « critique critique » contemporaine ? Non plus seulement, selon la formule de Marx, un monde qui n’aurait laissé « subsister entre l’homme et l’homme d’autre lien que le froid intérêt, que les dures exigences du paiement au comptant », mais avant tout un monde de la violence symbolique généralisée. Un champ de forces où les relations de pouvoir, dans la multiplicité de leurs formes, et les volontés de puissance des dominants, sous leurs visages les plus divers, ordonneraient à eux seuls le social. Ainsi, au mot d’ordre émancipateur et si créatif des années 60, « Tout est politique », qui suscita un foisonnement de l’inventivité démocratique paraît se substituer un slogan tristement victimaire : « Tout est domination ». Comme si le moment, nécessaire, du soupçon s’était transformé en ressentiment généralisé.
N’est-il pas urgent de dessiner une alternative à ce regard désenchanté, de frayer une autre voie qui nous donnerait aussi à voir le côté lumineux de la vie sociale, et pas seulement son côté obscur ? Non seulement la noirceur du monde ne saurait avoir le dernier mot, mais surtout, le réalisme bien compris n’est-il pas celui qui, à l’instar du « parti pris des choses » du poète Francis Ponge, prend le parti du réel, et non celui qui le prend à partie, pour le dénoncer inlassablement ? En ce sens, l’aporie fondamentale de la « critique critique » réside dans son refus de rendre justice à la générosité de ce qui est, de ce qui se donne dans la texture subtile des relations interhumaines.
Cette conférence invite ainsi à cheminer autrement dans le monde des rapports sociaux, en se donnant pour boussole, non plus cette axiomatique de la domination — ou l’axiomatique de l’intérêt qui en constitue, sous bien des aspects, la matrice utilitariste —, mais le paradigme du don, tel que le MAUSS, à la suite de Mauss, proposé de le formuler. Et d’en dégager quelques implications morales et politiques.

Philippe Chanial est professeur de sociologue, Université Paris-Cité, et directeur de La Revue du MAUSS (Mouvement Anti-Utilitariste en sciences sociales). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont La sociologie comme philosophie politique et réciproquement (2011), La délicate essence du socialisme (2009), La société vue du don (2008) et Justice, don et association (2002). Il vient de publier tout récemment Nos généreuses réciprocités. Tisser le monde commun aux éditions Actes Sud (2022).
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